vendredi 27 août 2010

Importation de farine de blé en Guinée : les fausses déclarations en douane tuent l'économie !


De janvier à juillet 2010, l'Etat guinéen a perdu un montant supérieur à 20 milliards de francs guinéens, à cause de fausses déclarations en douane pratiquées par des importateurs de farine de blé. Certains abusent aussi d'anciennes dérogations devenues sorte de règle. Des plus malins passent les mailles du filet à travers la circulaire 4833/223 concernant des produits marocains admis en franchise des droits de douane et de taxes en Guinée. Au grand dam de l'Etat qui perd d'importantes recettes douanières. Lisez notre enquête !
La législation guinéenne exige à chaque importateur de faire les déclarations à la valeur minimale de 320 dollars américains par tonne métrique. Même qu'avec la hausse des devises, cette somme devrait être aujourd'hui à 410 dollars. C'est sur la base de cette valeur que les taxations sont faites à hauteur de 60% qui sont versés dans les caisses de l'Etat. 

Seulement voilà ! Entre le 1er janvier et le 15 juin 2010, des documents (bons de sorties de la Douane, déclarations descriptives d'importations, quittances, demandes de dédouanement...) édifient plus d'un sur la gravité du phénomène. Ces dossiers, signés par la Direction Nationale de la Douane Guinéenne, prouvent que des importateurs pratiquent de la sous facturation. Où tout simplement ils font des fausses déclarations en douane.
Entre janvier et juillet, les valeurs minimales faites par une dizaine d'importateurs de la farine de blé n'a oscillé qu'entre 80 à 303 dollars. Or, depuis 2006, dans un arrêté du Ministère de l'Economie et des Finances, portant modalités de dédouanement des importations de farine de blé, pour ce qui est de la valeur admissible en douane, il est stipulé : «La facture d'importation ne saurait être acceptée en douane si la valeur est inférieure à la somme de 320 dollars par Tonnes Métrique de farine fortifiée ». Le manque à gagner est donc très énorme. Nous nous sommes amusés à faire des calculs pour cet importateur qui a envoyé 25 conteneurs de farine de blé (soit 600 tonnes métriques ou12 000 sacs). Il a déclaré avoir acheté la tonne à la valeur de 190 dollars. En déclarant la valeur à 190 dollars, il a payé à l'Etat 408 519 479. S'il l'avait déclaré à 400 dollars, il aurait payer dans les caisses de la Douane 860 041 008. L'Etat a ainsi perdu 450 698 322 suite à la sous facturation.

En dehors des sous facturations ou fausses déclarations en douane, d'autres importateurs de la farine de blé utilisent, comme nous l'annoncions, utilisent les dispositifs de la circulaire N°4833 / 223 concernant une convention commerciale et tarifaire maroco-guinéenne du 13 octobre 2000, transposées au système harmonisé 2002. Elle concerne des produits marocains admis en franchise de droits de douane et de taxes d'effet équivalent en Guinée. Et des produits guinéens admis dans le même cadre au Royaume du Maroc. Sous le Code 11 05 de ladite circulaire, il est question de « farine, semoule, poudre, flacons, granulés et agglomérés sous forme de pellet, de pomme de terre ». Il n'est donc nullement question de farine de blé. 

Seulement voilà ! Les documents dont nous avons réussi à nous procurer montrent qu'il y a eu de la farine de blé importée sous le Code 11 05. Plus de 715 conteneurs de farine de blé ont été importés du Maroc entre janvier et juillet. Ils ont été dédouanés à 22 % au lieu d'être taxé à 60%, comme le recommande la réglementation douanière. Soit une perte de près de 20 milliards de francs guinéens en l'espace de six mois. Entre fausses déclarations, importations frauduleuses, protocole d'accords d'exclusivité, l'Etat ne sait plus à quelles sources de revenus se vouer. D'autant plus que des facilités douanières sont accordées à certains importateurs au détriment d'autres. En février dernier, le ministère du Commerce accordait à deux sociétés l'exclusivité d'importer du Ciment et de la farine. Ces exclusivités ont été signées à un moment où la Guinée était en quête d'un Premier Ministre de transition et d'un Gouvernement. C'est dire toute la magouille qui est derrière le phénomène. Sans compter que ces farines ne sont soumises à aucun contrôle de qualité.
Dans les conditions normales, depuis mars 2008, c'est le Bureau Véritas à Conakry (BIVAC) qui devait vérifier toutes les marchandises avant leur importation en Guinée. Toute importation de marchandise devait faire objet de la part de l'importateur d'une fiche de demande d'inspection avant embarcation. Aucune importation de marchandises ne devait être reçue au dédouanement si elle n'avait pas fait l'objet d'une fiche de demande d'inspection adressée auparavant au BIVAC et d'une attestation de vérification émise par le même.
Mais des farines continuent d'être importées en Guinée sans aucun contrôle de qualité. Des importations sont dédouanées sans présentation des fiches de demande d'inspection et des attestations de vérification du BIVAC.

Pourtant, depuis septembre 2006, un arrêté conjoint des ministères de la Santé Publique, du Commerce, de l'Industrie et des PME et de l'Economie et des Finances, stipulait, entre autres, que « la farine issue de l'écrasement du blé, fabriquée, conditionnée ou importée en République de Guinée, doit être fortifiée d'un composé fer vitamines ». Mais ça, c'est dans les textes rangés dans des tiroirs. Pour en avoir le cœur net sur cette filière, notre rédaction a tenté de recouper ses informations à la Direction Nationale de la Douane et au BIVAC.

Depuis le samedi 6 août, nous essayons d'avoir M.Alpha Yaya Diallo, Directeur Général de la Douane, au téléphone. En vain ! Ça sonne et il ne décroche pas. « Sans doute qu'il ne connaît pas votre numéro » nous a-t-on rétorqué. Le lundi 9 août nous étions à la Douane. Nous avons commencé par le service communication. Nous y sommes reçus par M.Sylla. Après lui avoir expliqué les raisons de notre visite et notre souhait de rencontrer M.Alpha Yaya Diallo, il nous donne rendez-vous à 15h30.

Nous revenons à l'heure indiquée. Aucune suite. M.Sylla n'a pas pu entrer en contact avec son Directeur Général. Prenant notre mal en patience, nous réussissons à être reçus par M.P.Touré, des ressources humaines et de la formation. Celui-ci nous conseille de formaliser notre demande, c'est-à-dire adresser une lettre au Directeur de la Douane pour une éventuelle interview. Il nous conseille également d'adresser une autre lettre à la Direction pour avoir les statistiques sur l'importation de la farine, du sucre et du lait en Guinée. Nous patientons encore dans l'espoir que M.Alpha Yaya nous trouvera dans le coin. Sans succès. Jusqu'aux environs de 18h, le Directeur National de la Douane n'était pas dans son bureau. Il ne répondait pas, non plus, à son téléphone qui sonnait pourtant normalement.
Auparavant, nous avions fait un tour au siège du Bureau Véritas à Conakry, à la Cité feu Général Lansana Conté. Le directeur du BIVAC étant en vacance en Espagne et son adjoint en France, nous avons pu obtenir un rendez-vous avec un responsable de la boîte qui a souhaité garder l'anonymat. De l'entretien que nous avons eu avec cet habitué du BIVAC, depuis un certain temps leur société ne contrôle pas certains produits, notamment la farine de blé, qui sont importés en Guinée. Qu'il y a des commerçants qui, forts des dérogations et autres exonérations dont ils sont bénéficiaires, font perdre à l'Etat plusieurs milliards de francs guinéens. Les dates des dérogations ont expiré depuis longtemps mais ces opérateurs continuent d'importer des marchandises en faisant de la dérogation une règle. Même que certains s'opposeraient fermement à ce que le Gouvernement prenne de nouvelles directives interdisant ces exonérations qui tuent l'économie du pays.

Enfin, il y a un flou artistique entre les prérogatives du ministère de l'Economie et des Finances, celui du Commerce et le BIVAC. Il reste entendu que ce flou profite aux importateurs de farine de blé et empêche au BIVAC de jouir de ses prérogatives. Voilà autant de choses qui devraient interpeller le futur Président de la République et son gouvernement. La période d'exception, sous le règne du capitaine Moussa Dadis Camara et du Général d'armée Sékouba Konaté, laisse un héritage lourd. Pour engranger rapidement des recettes, les futures autorités devraient mettre fin aux fausses déclarations en douane, exonérations et aux dérogations fantaisistes.

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